AJ en péril #Avocats #Réforme #AJ Par Gaspard Benilan

Publié le : 19/10/2015 19 octobre oct. 10 2015

LE PLUS.
Mobilisés depuis mardi, les avocats n'ont pas pu empêcher l'Assemblée de voter le projet de budget 2016 concernant l'aide juridictionnelle. Le bâtonnier de Paris a donc appelé ses confrères à la grève générale dès lundi. Mais pourquoi tant de colère ? Eclairage de Gaspard Benilan, avocat.

Christianne Taubira à Matignon, après le Conseil des ministres (CHAMUSSY/SIPA) Christiane Taubira à Matignon, après le Conseil des ministres (CHAMUSSY/SIPA)
 
L’Assemblée nationale a voté jeudi soir le volet du projet de budget pour 2016 touchant à l'aide juridictionnelle malgré une grève et un mouvement quasi-général des avocats français.
 
Quels sont les tenants et les aboutissants de ce projet et pourquoi les avocats s’y opposent-ils ? Deux propositions sont vivement contestées par les avocats.
 
Une diminution drastique de l'aide juridictionnelle
 
La première, qui n’apparaît pas dans le projet de loi mais qui a été diffusée via une note de la chancellerie propose de réattribuer les unités de valeurs relatives à l’aide juridictionnelle.
 
Une unité de valeur est un montant fixé à 22,84 pour l’année 2014 et qui devrait passer à 24 euros pour 2016. Sur cette base sont déterminées les rémunérations d’un avocat agissant pour la défense des plus démunis. Par exemple, la défense d’un prévenu lors d’un procès correctionnel donne droit à une rémunération de 8 unités de valeur, soit en 2015 la somme de 182,72 euros. Ou encore, une permanence de garde à vue est rémunérée 12,40 UV, soit en 2015 la somme de 300 euros.
 
Le projet de la Chancellerie est donc de réattribuer les unités de valeur afin qu’elles correspondent mieux à la réalité. Ainsi, alors qu’un divorce par consentement mutuel donnait droit à 30 UV, il ne donnera plus droit qu’à 25 UV. Ou encore, une permanence de garde à vue qui donnait droit à 12,40 UV ne donnera plus droit qu’à 7,5 UV. La garde des sceaux a fait valoir que certaines missions obtiendraient par contre plus d’UV. C’est exact, une audience correctionnelle gagnera par exemple 1 UV !

On l’aura compris, sous prétexte de rééquilibrer les attributions, l’idée de fond est de diminuer drastiquement les montants dédiés à l’aide juridictionnelle. Ce dont le gouvernement n’a pas conscience, c’est qu’en prétendant sauver un système, il parachève sa destruction.
 
Les droits de la défense en danger
 
Prenons l’exemple de la permanence de garde à vue. Lorsqu’un avocat est de permanence, il s’engage sur une durée de 24 heures (de 7h du matin à 7h du matin). Pendant cette période, il peut être appelé à tout moment du jour et de la nuit et devoir se déplacer dans un commissariat pour s’entretenir avec le gardé à vue, assister aux auditions et aux éventuelles confrontations.
 
Pendant ces 24 heures (et bien plus que 24h si vous êtes appelé 5 minutes avant la fin de votre permanence), il ne peut prévoir aucun rendez-vous, ne planifier aucun travail. Ces gardes à vue peuvent également prendre un temps fou entre le temps de transport, les attentes parfois démentielles dans les commissariats (ce qui prouvent que nous sommes utiles puisque les forces de police sont rarement enchantées de nous voir arriver et tentent de nous agacer comme elles peuvent) et les auditions et confrontations souvent très longues.
 
Pour cette permanence, les avocats seront donc en 2016 rémunéré 180 euros, soit, après déduction de charges, environ 90 euros net.
 
Autant être clair, à ce prix-là, aucun avocat n'acceptera d’être de permanence et ce sont les droits de la défense qui seront en danger. Les clients aisés paient bien mieux et prennent moins de temps.
 
Ce ne sont ni les gardes à vue, ni les audiences correctionnelles à l’aide juridictionnelle qui nous font gagner notre vie, payer nos bureaux et nos charges. Nous y consentons parce qu’elles font partie intégrante de notre métier, de notre vocation, mais nous nous en éloignerons inévitablement si elles nous empêchent de subsister.
 
Nous financerons notre propre rémunération
 
La seconde des propositions du gouvernement, qui cette fois apparaît dans le projet de loi à l’article 15, instaure une participation financière des avocats au système de l’aide juridictionnelle via une taxation des produits financiers issus des fonds Carpa (caisse sur laquelle transitent les fonds de nos clients et qui permettent à la profession de se financer partiellement).
 
Ces fonds permettent de financer la profession, si elle les perd, elle devra inévitablement se refinancer et sa seule source de financement… ce sont les avocats.
 
Autrement dit, le gouvernement propose de baisser notre rémunération au titre de l’aide juridictionnelle à des montants extrêmement bas et en plus nous faire financer ladite rémunération. Finalement, heureusement que cette rémunération est ridicule !
 
Des propositions tragiques
 
Le message que véhicule le gouvernement avec ce projet, c’est que la défense des plus démunis n’est pas un composante de la solidarité nationale, elle est une problématique qui ne concerne que les avocats et au fond, ceux-ci n’ont qu’à se financer et se taxer entre eux pour résoudre le problème.
 
Tenir un tel discours et proposer de telles réformes de la part d’un gouvernement de gauche est tragique. Le droit d’être défendu, le droit de faire entendre sa voix sont des droits élémentaires auxquels tous les citoyens doivent avoir accès. Ce doit être un idéal national au même titre que l’accès aux soins qui est financé par tous.   
 
Le gouvernement de gauche est en train de créer une justice de nantis portant toujours plus haut l’idée que tout se monnaye, même les plus élémentaires des droits.
 

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